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"fin du monde" !

3 ambiances pour

le prix de deux !

Oraison, ô désespoir... pour qui sonne le glas ?

 

 

 

La courgette s'essaie à l'anticipation... dans la peau d'un humain

 

 

Novembre 2043

 

Il y avait longtemps que nous faisions l’autruche… drôle d’expression que celle-ci d’ailleurs. Plus moyen, ce matin, alors que je me réveille, la tête fracassée déjà par l’air saturé en dioxyde de carbone, plus moyen de me souvenir à quoi se réfère cette expression « faire l’autruche ». J’ai dû le savoir… autrefois… avant le… le GRAND EVENEMENT, si tant est que le chaos dans lequel nous traînons nos baskets élimées aujourd’hui soit consécutif d’un évènement soudain. Ça non plus, je ne m’en souviens pas.

 

Ce pourrait tout aussi bien être la conséquence quand j’y pense (mais ça aussi, ça me fracasse la tête) d’un processus aussi lent que pernicieux ; seulement là, ce serait posée la question de notre responsabilité à tous, je veux dire… dans la propagation du chaos. Ce peut-il que nous y soyons pour quelque chose ? Ce peut-il que j’y sois pour quelque chose ?

 

Des souvenirs pourtant parfois, me reviennent par bribes, surtout au réveil… ce réveil du corps, si douloureux depuis quelques temps (il y avait bien longtemps que j’avais même arrêté de rêver à un café fumant qui me permettrait de mobiliser mon corps et mon esprit pour affronter la journée). Les mêmes gestes répétés chaque matin, ces mêmes gestes traduits en pictogrammes afin de permettre à CEUX-QUI-RESTAIENT de les enchaîner sans y penser… question de survie. Des pictogrammes… des plans également, des plans où figurent les bornes à oxygène. Ces bornes avaient été installées comme dans un dernier sursaut, tous les 500 mètres (limite au-delà de laquelle des évanouissements avaient été constatés). Je ne savais quel périmètre couvraient ces bornes mais, là encore, je ne rêvais plus d’aller y voir plus loin. L’envie de voyage s’était évanouie avec l’espoir et puis, qu’aurais-je découvert plus loin ? Il y a bien longtemps que plus une info ne nous était parvenue d’un ailleurs. Avouez que ça ne sent pas bon quand même… et avoir du courage n’implique-t-il pas qu’il y ait encore quelque chose à sauver ? Je ne parvenais déjà plus à voyager dans mes souvenirs. Ma vie d’avant, elle aussi, s’était évanouie.

 

Quelque chose pourtant (ce peut-il que ce soit l’instinct) me disait que nous avions dû faire l’autruche un sacré bout de temps pour en arriver là.

 

Une autruche… impossible de me souvenir ! Pourquoi alors mes larmes coulent-elles ?

 

J’ai dû m’assoupir à nouveau ; il fait nuit maintenant. Je reste dans une sorte de somnolence, les paupières à demi-closes. Soudain pourtant, mon rythme cardiaque s’accélère, entraînant aussitôt une douleur vive, acide, dans les tempes ; ma vue se brouille ; l’adrénaline passe dans mes veines ; une onde glacée me parcourt l’échine : en un quart de seconde, un monde révolu ressurgit.

 

Au même moment pourtant, un autre sentiment fait surface, comme une excitation, semble-t-il lui aussi porté par l’adrénaline : une joie indicible.

 

Un loup ! J’ai entendu le cri d’un loup !

 

A moins que…

 

Plus rien !

 

Je tends l’oreille, fébrile du fragile espoir qui vient de naître. C’est cet espoir maintenant qui cogne à mes tempes.

 

Rien ! Rien de chez rien ! Une lointaine alarme tout au plus, alarme qui finira par s’épuiser d’elle-même à force de n’alarmer plus personne.

 

Le cri d’un loup… Comment ai-je pu ? Il faut dire que, depuis si longtemps, consciente de la dégringolade que nous amorcions, j’avais mis mon espoir dans cette idée que nous pourrions toujours bien chasser le naturel : il reviendrait au galop. J’imaginais alors que, si nous allions trop loin, la nature reprendrait ses droits, nous signifiant notre ridicule. J’imaginais les plantes s’introduisant dans les maisons par le moindre interstice, les prédateurs d’autrefois reprenant possession de leur territoire, poussant l’homme à s’en protéger, le cantonnant à son tour dans le rôle qu’il leur avait fait jouer tant d’années. A cette différence essentielle : pas d’extermination en vue. Ces grands prédateurs, les loups, les ours, qui peuplaient nos cauchemars et alimentaient tant d’histoires à dormir debout, ces grands prédateurs au bout du compte ne semblaient pas avoir eu de rêve de conquête, tout au plus l'agressivité qu'on leur prêtait parfois avait dû leur servir à se nourrir, se maintenir en vie.

 

Je reviens à moi tout à fait. Un retour douloureux. La moindre échappée désormais se paye en monnaie de douleur. Quelques secondes à ne serait-ce qu’approcher les émotions lointaines d’un monde révolu et c’est la douleur fulgurante d’un retour à la réalité que je me prends en pleine face. Ce n’était pas un loup. Ce ne pouvait plus être un loup.

 

Mais quelque chose se passe tout à coup… se détache de mes entrailles… se propage, remonte vers les poumons, le cœur, force le passage des cordes vocales en une onde puissante, profonde ; l’onde jaillit en un long hurlement irrépressible. Je m’asphyxiais et tout à coup je respire ! Une trouée vient de se former dans le brouillard qui nous entoure habituellement. La lune, pleine, rayonne tout autour de moi. La noirceur du monde prend quelques instants une lueur d’enchantement. Pourvu qu’il me soit encore donné de voir une aussi belle chose.

 

Je le savais bien pourtant : nous ne verrions plus de loups… d’autres m’auraient dit de m’en satisfaire, après tout nous avions tant crié au loup, considérant nos ennemis juchés sur 4 pattes. Nous avions tant souhaité les voir disparaître…

 

Alors… pourquoi mes larmes coulaient-elles aujourd’hui ?

 

J’ai tout à coup extrêmement soif. J’ai pourtant dû, bien malgré moi, apprivoiser cette sensation des plus désagréables : lorsque votre bouche se dessèche tout à fait, que votre langue semble doubler de volume et que déglutir vous met le feu à la gorge, sans avoir jamais plus la possibilité d’un apaisement. Et j’ai dû apprendre, au milieu de ces sensations désagréables, à mesurer l’urgence, le moment où me réhydrater n’est plus un choix.

 

Je bois une gorgée d’eau, de cette eau qui s’est accumulée dans des bidons. Le positif c’est que je n’ai pas à me battre pour y accéder. Après, sur la qualité… on repassera ! Il y a quelques années, cela m’aurait sûrement valu quelques «mises en garde.gouv », quelques conseils bien sentis genre : « pour bien grandir, ne bois pas d’eau croupie » ; (mais je pense d’ailleurs que j’y aurais pensé moi-même car l’idée de gober une grenouille au passage ne me tentait qu’à moitié en fait).

 

A cette évocation, je réfrène ma colère : l’espace d’un instant, je me suis souvenue du langage qu’auraient justement adopté les services d’état chargés de la prévention dans un cas d’eau croupie ; un langage simplifié qui puisse être compris de tous (voire peut-être même auraient-ils mis en place un spot publicitaire) oubliant qu’en face, peut-être y avait-il des personnes lucides capables de voir que, pendant ce temps, pendant qu’on nous assénait de belles leçons, d’autres, en toute légalité, se chargeaient de la croupir cette eau, au point où même les grenouilles n’y auraient pas séjourné. Mais d’accord, je réfrène ma colère : c’est de toute évidence, un luxe que je ne peux plus m’offrir.

 

Alors oui aujourd’hui, je bois cette eau accumulée dans des bidons. Et assez bizarrement, l’absorption de ce breuvage, si elle m’occasionne inévitablement quelques belles séances de dégobillage, ne semble pas mettre en péril ma vie. Pas pour l’instant tout du moins.

 

Mais j’ai une drôle de pensée tout à coup : de la même façon que, pendant longtemps nous regardions notre reflet à travers le miroir aux alouettes qu’on nous tendait, ce pouvait-il que notre véritable reflet soit aujourd’hui celui-là ? Celui que nous renvoyait cette eau croupie ?

 

Mais voilà mes larmes qui coulent à nouveau. Des alouettes… impossible de me souvenir.

 

La lueur de l’aube que j’aperçois alors va peut-être m’aider à me sentir un peu mieux même si je ne me leurre pas. Lorsque je parle de l’aube, je sais bien que probablement le soleil est lui, levé depuis plusieurs heures déjà, mais simplement, il aura fallu du temps à ses rayons pour percer les différentes couches de particules en tous genres qui constituent désormais notre atmosphère. Mais je ne me plains pas ; aujourd’hui particulièrement, la lumière qui me parvient parait douce, de quoi reprendre un peu de poil de la bête. Peut-être même vais-je tenter une « sortie » aujourd’hui ? Je pourrais même tenter de traverser l’ancien périph’ au bout du quartier. Derrière, il y a la mer. Tiens ! Je reprendrais presque espoir moi avec tout ça… Je sens qu’on va rire comme des baleines aujourd’hui.

 

Des baleines...

 

 

 

                                 THE END

 

 

 

                                                                                                             …et en même temps, je peux me tromper

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